Data European Green Deal

Le Pacte vert européen, cinq ans après : une boussole pour s’orienter vers la neutralité carbone

Outil essentiel au cœur de la politique de transition verte de l'UE, le Pacte vert européen se fixe pour but la neutralité carbone d’ici 2050. Mais comment savoir où en est l’application des différents objectifs permettant d’atteindre celle-ci ? Un groupe d’économistes de l’Observatoire français des conjonctures économiques a mis au point un outil permettant à tout un chacun de suivre les progrès réellement réalisés par rapport aux objectifs à moyen terme.

Publié le 25 avril 2024 à 13:58

Cinq ans après son lancement en 2019, Le Pacte vert européen se trouve pris dans un étonnant paradoxe. Le voilà aujourd’hui au cœur de débats enflammés dans de nombreux Etats membres, sans que personne ne puisse vraiment dire où en est son application ! 

La faute, en partie, à un manque de clarté en ce qui concerne les avancées du texte : le document d’appui de la Commission européenne qui fait l’état des progrès accomplis jusque-là mélange ainsi les avancées institutionnelles et les avancées concrètes. Défenseurs et détracteurs se retrouvent bien en peine de répondre à des questions pourtant essentielles : le Pacte vert européen atteint-il concrètement ses objectifs, au-delà de leur transcription formelle en propositions législatives ? Est-il sur la bonne trajectoire ? Souffre-t-il de lacunes, de faiblesses, de déséquilibres et si oui, lesquelles ? 

C’est pour éclairer ce paradoxe que nous mettons aujourd’hui à disposition des décideur(e)s et des citoyen(ne)s un outil statistique facile d’utilisation, libre d’accès et le plus complet possible : la Boussole du Pacte vert (“Green Deal Compass). Cet outil se compose de 14 indicateurs subdivisés en quatre grands domaines ou “piliers” du Pacte vert : climat et énergie, ressources et pollutions, agriculture et alimentation, biodiversité et écosystèmes. Les indicateurs que nous avons retenus ont en commun de figurer en toutes lettres dans les textes de loi européens.

Ils font ainsi l’objet d’une évaluation statistique fiable et actualisée par l’office européen des statistiques Eurostat qui permet de comparer leur état actuel à l’objectif décidé en commun. Ils ont vocation à être complétés dans les mois et années à venir mais ils constituent aujourd’hui un ensemble suffisamment robuste de données pour permettre une première analyse de la trajectoire du Pacte vert européen.

Un parti pris essentiel de notre démarche consiste à raisonner et mesurer au niveau de l’ensemble de l’Union européenne, en considérant les indicateurs sous forme de moyennes des 27 Etats membres. Ce choix résolument européen vise à éviter la tentation de faire du Pacte vert un “concours de beauté” où les “bons élèves” sont montrés en exemple aux “cancres”. 

D’une part, les spécificités nationales rendent souvent ces comparaisons dénuées de fondement, mais, plus fondamentalement, cette logique de rivalité et de concurrence fait suffisamment de dégâts en matière fiscale, budgétaire et sociale pour ne pas être reproduite dans le champ de la transition écologique. Le Pacte vert est une stratégie commune pour les décennies à venir, et c’est au niveau de l’Union européenne que l’on peut mesurer son succès (ou son échec) avec le plus de pertinence.

L’indicateur agrégé que nous avons construit, celui qui permet d’un coup d’œil d’évaluer l’état du Pacte vert, se nomme “Radar du Pacte vert” (Green Deal Radar) et donne à voir l’état d’avancement des quatre piliers de la stratégie européenne. 

Les quatre piliers du Pacte vert sont positionnés et comparés sur une échelle de 0 à 100 %, 0 % indiquant qu’aucun progrès n’a été accompli et 100 % que tous les objectifs ont été atteints à horizon 2030. 

Deux réalités parlantes ressortent de cette figure : la première est que le Pacte vert est en bonne voie au regard des indicateurs en vigueur, le chemin déjà parcouru vers les objectifs 2030 oscillant entre les deux tiers (pour le pilier énergie-climat) et un quart (pour le pilier agriculture et alimentation). Mais, deuxième réalité objective, le Pacte vert est fortement déséquilibré en faveur de son pilier énergie-climat, les trois autres piliers étant compris entre environ un quart et un tiers du chemin parcouru (le pilier le moins avancé étant le pilier agriculture et alimentation, ce qui éclaire d’une lumière intéressante les débats intenses qui secouent le monde agricole dans nombre d’Etats membres depuis plusieurs mois au sujet des réglementations environnementales).  

On peut ensuite vouloir détailler la dynamique propre de chacun de ces piliers pour mieux comprendre les évolutions en cours (à l’aune des indicateurs existants, rappelons-le, encore partiels). Le pilier énergie-climat est celui qui compte le plus d’indicateurs inscrits dans les textes européens et mesurables objectivement (six au total), ce qui n’est guère surprenant car c’est le cœur de la stratégie définie dès décembre 2019 par l’ambition d’“être le premier continent neutre pour le climat”. Mais, précisément, cette ambition de neutralité carbone se heurte à une réalité que les données permettent de dévoiler. 

Si la réduction des émissions de gaz à effet de serre est indéniablement forte pour l’ensemble de l’Union européenne, avec plus de la moitié du chemin parcouru vers la cible de 2030 , la tendance post-Covid-19 n’est pas bonne : les émissions ont fortement rebondi en 2021 (et n’ont pas été compensées par la baisse de 2022) et leur réduction reste trop lente, selon l’Agence européenne de l’environnement. 

Mais surtout, la stratégie de neutralité carbone adoptée par l’UE suppose que les émissions brutes restantes (qui ne seront pas réduites à zéro) soient absorbées par les puits de carbone. Or l’indicateur d’absorption des émissions par ces derniers a lourdement chuté au cours de la dernière décennie sous l’effet de la crise climatique (feux de forêt géants, épuisement des écosystèmes, etc.). Notre “boussole du Pacte vert” met donc en lumière une faille sérieuse, insuffisamment connue, de la stratégie européenne concentrée sur ses objectifs énergie-climat mais pas assez attentive à la vitalité des écosystèmes qui pourtant conditionne, à terme, leur succès. 

L’analyse du pilier “Ressources et pollutions” révèle un autre déséquilibre : alors que les émissions de gaz à effet de serre, la consommation de ressources naturelles ne diminue plus depuis dix ans. L’économie européenne est donc loin d’être encore durable. De la même manière, les indicateurs de conservation des terres et des espaces maritimes au sein du pilier “Biodiversité et Ecosystèmes” donnent à voir des progrès réels et encourageants vers les objectifs 2030.

Mais le recul des espèces d’oiseaux (qui symbolise une érosion bien plus large de la biodiversité dans l’Union européenne, notamment des populations d’insectes ou d’amphibiens) est continu depuis le début des années 1990 et s’est accéléré au cours des deux dernières décennies. D’autres déséquilibres que notre outil ne permet pas de mesurer existent évidemment, à commencer par le manque d’ambition sociale du Pacte vert tel qu’il est aujourd’hui.

La “Boussole du Pacte vert” est donc un outil d’évaluation imparfait, qui demande à être perfectionné et complété à mesure que les indicateurs du Pacte vert deviendront plus précis et nombreux. Il permet néanmoins d’éclairer de manière objective un certain nombre de débats en cours et nous autorise une réponse claire à la question posée en ouverture de cet article,  “le Pacte vert européen atteint-il ses objectifs ?

La Boussole permet de dire que oui, quoique de manière déséquilibrée – ce qui pourrait rapidement remettre en cause son succès encore fragile.

Eloi Laurent, Jérôme Creel et Emma Laveissière seront les invités de notre Live du 2 mai à 13h30, heure de Paris/Bruxelles. Enregistrez-vous ici ici.
En partenariat avec European Data Journalism Network

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