En plein schisme, le groupe de Visegrád lutte pour sa survie

Petit à petit, un fossé se creuse entre les quatre pays du groupe de Visegrád. Pendant ce temps, la Hongrie invite la police chinoise sur son sol, et la neutralité de l’Autriche est remise en question. Passage en revue de l’actualité d’Europe centrale de ce mois-ci, avec Display Europe.

Publié le 28 mars 2024 à 10:07

Conçu dans le sillage de la disparition du communisme pour favoriser la collaboration en Europe centrale, le groupe de Visegrád (V4), qui englobe la République tchèque, la Slovaquie, la Pologne et la Hongrie, visait à l’origine à intégrer ces nations dans la grande tapisserie euro-atlantique. Aujourd'hui, le quatuor semble divisé, comme si la formule mathématique V4 = V2 + V2 était désormais de rigueur, en raison de leurs stratégies divergentes face à l'agression de la Russie en Ukraine. Quand les Tchèques et les Polonais défendent l'aide militaire, les Hongrois et les Slovaques affirment que l'ajout d'armes ne résoudra pas le conflit à leurs yeux : le schisme au sein du groupe a atteint un tel niveau qu'il a été question d'une rupture de facto.

Toutefois, au lendemain du sommet du groupe de Visegrád, qui s'est tenu dans un climat de tension palpable à Prague en février 2024, un consensus s'est dégagé dans le paysage médiatique d'Europe centrale, transcendant les clivages régionaux et politiques, selon lequel l'alliance devrait perdurer et continuer sa collaboration. Dans Pravda, le penseur politique slovaque Tomas Strazay écarte la possibilité d’une disparition du V4, affirmant que le conclave des Premiers ministres n'a pas sonné le glas de cette initiative vieille de 33 ans, comme certains l'avaient pronostiqué. Le V4, après tout, "n'a jamais aspiré à être une entité régionale monolithique, parlant d’une seule voix."

"C'est précisément l'absence d'institutions rigides qui donne au groupe la latitude d'accueillir une pluralité de points de vue, même sur des questions d'importance stratégique". Cette absence d'uniformité permet des coalitions pragmatiques sur des fronts jugés mutuellement avantageux, comme, par exemple, le soutien à l'agriculture, l'énergie ou les migrations. Faisant écho à ce sentiment, Ivan Hoffman, dans un autre article pour Pravda, décrit le V4 comme un conclave d'Etats d'Europe centrale, "moins liés par des liens économiques ou des ambitions politiques partagées que par un souvenir collectif de l'existence derrière le rideau de fer – une fraternité de nations unies par des destins géopolitiques similaires à la périphérie orientale de l'Occident".

"Anticipant des funérailles à Prague, le renouveau du V4 a émergé", titre le quotidien conservateur hongrois Magyar Hírlap, accompagnant une interview d'Ágnes Vass, directrice de recherche à l'Institut hongrois des affaires étrangères. Vass soutient que le talon d'Achille du bloc et son atout le plus formidable est sa malléabilité – un trait qui, malgré le gouffre creusé par la crise ukrainienne, permet encore les arrangements pragmatiques dans des domaines tels que l'énergie et la migration.


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Martin Ehl, de Hospodářské noviny, pose un diagnostic similaire : "Le groupe de Visegrád n'est pas en train de mourir, comme certains pourraient l'imaginer, mais il vient de se recalibrer pour adopter l'approche peut-être la plus pragmatique de ses trois décennies d'existence. Au lendemain du sommet, les Premiers ministres du groupe se sont empressés de réfuter toute rumeur, affirmant le potentiel de Visegrád en tant que puissant bloc de défense au sein de l'Union européenne.

Les quatre nations ont trouvé un rare accord sur un dilemme qui menace de semer la discorde dans toute l'Europe centrale : l'afflux de produits ukrainiens à bas prix. La problématique trouve une résonance toute particulière maintenant, alors que des manifestations agricoles secouent le continent, et jette une ombre sur le tableau financier de l'Union européenne, dont un généreux tiers du budget alimente le secteur agricole.

Dans les pages du journal polonais Rzeczpospolita, le politologue Tomasz Kubin adopte une position tout aussi utilitariste, titrant même un article "Ne tuons pas le groupe de Visegrád, il peut encore s'avérer très utile". Il plaide pour un "gel" des activités du V4 plutôt que pour un arrêt complet. Kubin estime que l'alliance pourrait jouer un rôle important dans les débats sur les réformes des traités de l'UE ou dans les accords diplomatiques temporaires passés avec les nations situées au-delà de son territoire – des engagements souvent menés dans le cadre du format élargi "V4+".  Kubin souligne qu'il est plus pratique de faire revivre un cadre existant que d'entreprendre la tâche laborieuse d'assembler une nouvelle coalition à partir de zéro.

Budapest ouvre ses portes à la police chinoise

L'administration hongroise, qui a un penchant pour le nationalisme et qui a promulgué l'année dernière une législation – en violation des normes de l'UE – pour se protéger des ingérences politiques étrangères, est sur le point de céder une partie de sa souveraineté à Pékin, en autorisant des agents de police chinois à fouler le sol hongrois dans le cadre de leurs fonctions officielles. Világgazdaság, un quotidien économique de Budapest, n'y voit aucune raison de s'alarmer, présentant le partenariat policier comme une aubaine pour renforcer la sécurité dans les hauts lieux touristiques pendant la haute saison et lors des rassemblements de masse.

Cependant, l'hebdomadaire Heti Világgazdaság émet une note plus dissonante, se méfiant des implications qui s'étendent au-delà de la simple protection des touristes. Il s'inquiète de ce que les attributions de ces agents englobent également la surveillance de la communauté chinoise locale et de la main-d'œuvre asiatique dans les usines de batteries chinoises en plein essor qui parsèment le paysage hongrois. Depuis des années, le journal fait état du fonctionnement clandestin de ce qu'on appelle des "stations-service" dans au moins trois villes hongroises – des établissements qui, selon les activistes, sont en réalité des avant-postes de la police chinoise exerçant une pression sur la diaspora.


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L’UE et la neutralité de l’Autriche

Ralph Janik | Die Presse | 13 mars | DE

Dans l'ombre des incursions russes en Ukraine, la Finlande et la Suède ont mis de côté leur neutralité légendaire pour rejoindre les rangs de l'OTAN, preuve éclatante des nerfs nordiques mis à rude épreuve par l’attitude belliqueuse de Moscou. L'Autriche, nichée parmi les nations de l'OTAN, apparaît comme un îlot de détachement. La manœuvre du Kremlin n'a guère ébouriffé les plumes politiques de la république alpine, pas plus qu'elle n'a suscité une réévaluation de sa position de neutralité dans le théâtre géopolitique tendu d'aujourd'hui.

Ralph Janik, chercheur en droit international pour Die Presse, note que l'adhésion de l'Autriche à l'UE la mêle au réseau de la politique étrangère et de sécurité commune, ce qui est quelque peu en contradiction avec l'affirmation de la ministre de la Défense Klaudia Tanner de ne pas intervenir en cas d'attaque d'un allié de l'UE. L'Autriche conserve la prérogative d'éviter certaines actions de l'UE, comme le financement des armes ukrainiennes. Cependant, l'adhésion à l'UE élargit la marge de manœuvre diplomatique de Vienne. Le stylé de neutralité de l'Autriche est devenu hybride, nuancé et flexible, mais lié par les actions collectives de l'UE. Le pays pourrait, s’il le souhaite, apporter un soutien militaire, dans un geste de solidarité plutôt que de neutralité.

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