Agir pour le climat, un droit humain à défendre

La Cour européenne des droits de l’homme a récemment rendu une décision historique donnant raison à un collectif engagé dans la lutte contre le changement climatique face au gouvernement suisse. Loin d’être anodin, ce jugement ouvre la voie pour une prise en main des politiques environnementales par la population.

Publié le 24 avril 2024 à 17:53

Le 9 avril 2024, trois affaires ont été portées devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) par des citoyens européens accusant plusieurs pays d’inaction face au changement climatique, comme le rapporte Le Monde. Les juges en ont rejeté deux, mais ont donné raison à la requête déposée par quatre membres de l’association suisse Aînées pour la protection du climat, une organisation composée de 2 500 femmes âgées de 73 ans en moyenne. Les requérantes dénonçaient les “manquements des autorités suisses” en matière de protection du climat, pouvant causer un “préjudice grave” à leur santé. Elles s’inquiètent plus particulièrement des effets néfastes des vagues de chaleur sur leur quotidien et leur bien-être.

La Cour a ordonné au gouvernement suisse de payer à l’association la somme de 80 000 euros dans un délai de trois mois. Nombreux sont les journalistes spécialistes des questions climatiques à ne pas avoir caché leur étonnement face à cette décision.

Il s’agit d’une victoire contre les pires aspects de notre société : l'inaction climatique, évidemment, mais aussi contre le sexisme et l’âgisme.

"Nous nous sommes basés sur la Convention européenne des droits de l'homme", explique le juge suisse Andreas Zünd, interrogé par Le Temps. Le droit à la vie et le droit à la vie privée (qui inclut le bien-être physique) ont été utilisés pour établir un lien avec le changement climatique, ajoute Zünd. "le réchauffement affectera fortement les personnes dans leur bien-être, et pourrait même entraîner la mort".

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Pour lui, “l’arrêt de la CEDH ne s’applique pas uniquement à la Suisse” et doit être considéré dans un contexte paneuropéen. “Les moyens doivent être définis via le débat démocratique”, relève-t-il, ajoutant que la Cour n’intervient pas dans le processus politique. “Le changement climatique représente un nouveau défi, car les dommages ne se produisent pas immédiatement”, conclut-il.

Dans Reporterre, Vincent Lucchese estime que la condamnation de la Suisse est un véritable “coup de tonnerre” : voilà qu’une décision de justice reconnaît officiellement la réalité scientifique du risque climatique.

Toujours dans Reporterre, Justine Guitton-Boussion et Jeanne Fourneau se sont penchées sur un autre cas débattu le 9 avril, celui de Damien Carême, député européen, ancien maire de Grande-Synthe (une commune menacée par la montée des eaux) et premier Français à avoir porté plainte contre son gouvernement pour inaction climatique. “C’est ma vie, celle de mes enfants, de mes petits-enfants qui est menacée”, dénonce-t-il.

Carême a été débouté, comme d’autres jeunes Portugais qui n’ont pas hésité à poursuivre 32 Etats en justice pour les mêmes raisons. Mais “ça ne s'arrête pas là”, ont confié les requérants à Rita Siza et Aline Flor, qui ont suivi le procès pour Público. “Nous n’avons abattu aucun mur, mais nous avons ouvert une grande brèche”, a affirmé l’une des militantes, Catarina Mota. “Tous les gouvernements européens doivent agir immédiatement en conformité avec cet arrêt et il faut que les citoyens de l’Europe entière réclament à l’unisson que leur pays s’y emploie”. Público, notamment par le biais de Patrícia Carvalho, Rui Gaudêncio et Vera Moutinho, a couvert cette histoire depuis 2020, lorsque les six protagonistes étaient âgés entre huit et 21 ans seulement. Ces mots ne doivent donc pas être pris à la légère.


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Dans ENDS, Conor McGlone écrit qu’il faut désormais s’attendre à ce que les citoyens remettent en question les politiques climatiques de l’UE suite à la décision historique de la CEDH. “Les citoyens des Etats membres de l’Union peuvent désormais demander à leur gouvernement de réexaminer et, le cas échéant, de renforcer ses politiques relatives au climat sur la base des dispositions de la Cour européenne des droits de l'homme”, explique McGlone. Un succès majeur, tant pour les aînées suisses que pour le reste du monde.

Nous avons besoin de victoires comme celle-ci, alors que d’autres batailles légales ont cours aujourd'hui et sont loin d’être gagnées, et que les militants pour le climat sont traités comme des délinquants afin de les contraindre au silence. Pourtant, la justice devrait être de leur côté : dans un discours alarmant, le secrétaire exécutif des Nations unies pour le changement climatique, Simon Stiell, a déclaré que nous avions “deux ans pour sauver le monde”.

Ecocide en Ukraine

La London Ukrainian Review examine la guerre de la Russie contre la nature en Ukraine et ses répercussions au plan mondial. Dans son essai Vertical Occupation, Svitlana Matviyenko explore le caractère pluridimensionnel des dommages que les Russes causent à l'environnement ukrainien. Dans une conversation avec Anna Ackermann, analyste en politique environnementale, le cofondateur de l’ONG Stop Ecocide, Jojo Mehta, revient sur l’impact de l'invasion de l'Ukraine par la Russie sur le débat juridique international. Ensemble, ils évoquent notamment la destruction du barrage de Kakhovka, qui pourrait constituer un écocide et, à ce titre, jouer un rôle dans la reconnaissance de cette définition comme cinquième crime du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Dans un article pour Domani, Ferdinando Cotugno emploie également un langage guerrier pour raconter l’installation future de l’unité de stockage et de regazéification Golar-Tundra le long des côtes de Vado Ligure et de Savone (nord-ouest de l’Italie) en 2026, alors que le projet est miné par des préoccupations liées à l'environnement et à la sécurité. 

À la suite de l’invasion de l'Ukraine par la Russie, la Commission européenne a brandi l’argument de la sécurité énergétique pour que cesse la dépendance de l’UE à l'égard du gaz et des combustibles russes en général. Mais de nombreuses entreprises fossiles y voient plutôt une raison pour acheter du gaz à d’autres pays ou continents, pour installer de nouvelles usines ou pour avoir recours à de nouvelles sources d'énergie qui n’ont de “verte” que le nom.

Plusieurs pays voisins de l'Union, dont le Maroc et la Tunisie, envisagent d’exporter de l'hydrogène pour répondre à la demande européenne, au risque d’accroître la pression sur leurs ressources et d’accentuer la concurrence entre eux, expliquent Achref Chibani, Ghassan El Karmouni et Weilian Zhu dans Alternatives Economiques.


Mais encore

Si vous êtes amateur de podcasts, sachez que celui de Ferdinando Cotugno, intitulé Areale, est désormais disponible sur Spotify. Le deuxième épisode, en revenant sur le discours de Simon Stiell, explique comment affronter le pessimisme ambiant et que faire de ce sentiment.

Dans Romania Insider, Radu Dumitrescu relaie une enquête de Greenpeace, selon laquelle des prestataires d’IKEA exploitent les dernières forêts primaires d’Europe dans les Carpates roumaines pour la fabrication de meubles, y compris dans des zones appartenant au réseau de protection Natura 2000.

C’est tout pour ce mois-ci. Continuez à vous informer, et souvenez-vous du mot le plus important de nos jours : “protéger”.

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